Le sport de haut niveau dans sa constitution vise a la performance. Cette performance est souvent associee à un capital economique dans les sports collectifs. Pour autant le spectacle reside dans le fait qu’une equipe moins bien dotee financierement puisse battre une autre equipe. Ainsi la notion de collectif prend une place essentielle et laisse l’espoir de performer pour chaque equipe. En s’appuyant sur une approche orientee sur les phenomenes cognitifs, nous discuterons de la notion de coordination interpersonnelle au sein d’un collectif et du role de la communication verbale dans les phenomenes de coordination interpersonnelle.
Introduction
Comprendre
les phénomènes sous-jacents à l’activité collective semble indispensable pour produire
une performance collective. La littérature actuelle tend à mettre en évidence
qu’une équipe experte ne peut pas se réduire à une équipe de joueurs experts
[5]. Le questionnement sur ce postulat nécessite d’investir la dimension
collective du jeu en pensant autrement le collectif que par la simple
juxtaposition des comportements individuels. Dans le passé, les approches,
dîtes classiques, se sont intéressées aux notions des déterminants de
l’activité collective (i,e.,
cohésion, leadership, nombre de joueurs, [4], sans pour autant aborder la
compréhension de l’organisation d’un comportement collectif. Actuellement, il
est nécessaire de dépasser ces approches de la performance collective pour tenter
de comprendre la coordination collective en train de se faire à partir des
phénomènes cognitifs sous-jacents. Dans la perspective de mieux cerner la
compréhension de l’activité collective, l’enjeu est de se renseigner sur les
processus cognitifs qui permettraient de comprendre la cohérence d’un
comportement collectif. Nous discuterons (1) des « clés » pour
développer la coordination interpersonnelle dans un collectif et (2) de la
place de la communication verbale dans la construction de la coordination
interpersonnelle implicite.
1.
La coordination interpersonnelle comme une clé de la performance
1.1Les
modèles mentaux partagés
Les équipes
expertes peuvent être caractérisées par la faculté des joueurs à se coordonner
implicitement c’est à dire performer avec une organisation collective, sans
avoir à communiquer dans le décours de l’action [5,6]. Autrement dit, la
coordination implicite se fait sans échange d’informations verbales. Par
opposition, lorsque l’action est permise par un partage verbal d’information en
direct, la coordination est dite explicite. C’est à dire avec une rediscussion
en temps réel d’intention de jeu ou d’une élaboration tactique prédéfinie. La
coordination implicite permet de se coordonner plus rapidement alors que la coordination
explicite inclut le temps de l’échange d’information, et est visible pour
l’adversaire, les joueurs doivent par conséquent être capables de s’adapter
collectivement et de se coordonner de manière implicite. Ainsi, comprendre par
quels processus est atteinte la coordination implicite permettrait un
entrainement adapté. Un premier résultat a
montré une forte corrélation entre les attentes partagées et la coordination
interpersonnelle implicite [1]. En d’autres termes, plus les joueurs d’une
équipe ont des attentes similaires sur le jeu et plus les joueurs sont capables
de se coordonner implicitement. Ce résultat pointe le fait que si les joueurs
d’une équipe ne partagent pas les mêmes attentes, les scénarios de chacun ne
pourront être similaires à ceux de ses partenaires. De la sorte, devenir entraîneur
d’un collectif pourrait se résumer au fait d’entraîner ses joueurs à vivre et
agir dans un monde commun, c’est à dire
de construire un « monde-propre » à l’échelle de l’équipe [2]. En ayant connaissance de ce
fait, un point important est maintenant d’avancer sur les possibilités de
construction de ces attentes partagées. Actuellement, la recherche scientifique
a permis d’établir une corrélation entre les connaissances partagées et les
attentes partagées par l’ensemble des joueurs d’une équipe [1]. C’est à dire
que plus les joueurs d’une équipe partagent de connaissances plus ils sont
susceptibles de générer des attentes communes et plus la probabilité d’adopter la
coordination implicite est grande. Les connaissances partagées révèlent d’un
côté les connaissances liées à la tâche (i.e.,
connaissances technico-tactiques, règles du jeu, connaissances sur
l’adversaire) et de l’autre les
connaissances liées à l’équipe (i.e.,
connaissances sur les partenaires, rôles, état de forme, points forts, points
faibles). La base du travail pour un coach semble pouvoir se faire sur la
construction d’un référentiel commun par un partage de connaissances. La prise
en compte de l’importance du partage de connaissances entre les joueurs d’une
équipe invite les entraîneurs à se questionner sur la sélection des joueurs.
1.2
Sélectionner des joueurs ou sélectionner un collectif
Pour
continuer cette réflexion, la discussion s’oriente autour d’interrogations qui a priori animent les entraîneurs au
quotidien, notamment celle de la sélection des joueurs. Sur quels indices de la
performance collective l’entraîneur peut-il s’appuyer pour sélectionner/composer
le meilleur collectif ? Une dialectique extrême se pose dans le choix de la
sélection de joueurs, l’entraîneur doit-il recruter les meilleurs joueurs ou
doit il construire une équipe indépendamment de la qualité technique et
physique de chacun? Autrement dit, un coach doit il choisir des joueurs qui
collectivement sont en accord par un partage de connaissances sur l’équipe et
sur la tâche ou doit-il sélectionner les joueurs qui sont les plus performants
individuellement ?
Une
récente étude a émis l’hypothèse que plus il y a de joueurs dans l ‘équipe
et plus le partage de connaissances sur l’équipe semble être primordial au
détriment du partage de connaissance sur la tâche. Par ailleurs, les collectifs
peu nombreux seraient moins dépendants de ce référentiel commun. Ainsi, la
constitution d’une équipe de double en Coupe Davis peut très bien se faire avec
deux joueurs experts en simple, ayant beaucoup de connaissances partagées sur
la tâche à accomplir et peu sur leur partenaire. Ce qui a pour conséquence de réduire
la nécessité de s’entraîner ensemble et permet de changer au dernier moment les
joueurs qui composent l’équipe, comme c’est très souvent le cas en Coupe Davis.
A l’heure actuelle, la meilleure paire de double en tennis, constituée des
frères Bryan, est bien souvent mise en échecs lorsqu’elle affronte une paire
composée de deux joueurs bien mieux classés individuellement (cf., résultats en coupe Davis). Par
opposition, bien souvent des scores ont été très surprenants en football
lorsque des équipes composées de joueurs plus faibles individuellement sont
venus à battre des équipes composées de joueurs au plus haut niveau d’expertise.
Par exemple, la Grèce s’est imposée sans joueur dit «expert» au Championnat
d’Europe en 2004. Dans cet exemple le partage de connaissances au sein de l’équipe a joué un rôle dans la
performance même si bien évidemment d’autres éléments sont à prendre en compte.
Pour les collectifs plus larges s’entraîner ensemble paraît capital, c’est bien
l’intelligence collective qui va permettre à une équipe plus faible sur le
papier de s’imposer. La compréhension de la notion de partage de connaissances
semble indispensable pour envisager la performance collective. Pour un large
collectif l’entraîneur gagne à sélectionner une équipe, pour un petit collectif
il doit par contre davantage sélectionner des joueurs.
1.3
Comment développer le partage de connaissances sur l’équipe et sur la tâche
durant un entraînement ?
Lorsque
les opportunités de se coordonner [3] peuvent potentiellement naître, le
collectif doit pouvoir s’organiser, il s’agit donc de le préparer à l’entraînement.
D’abord, l’amplification du partage de connaissances entre les joueurs semble
possible en s’appuyant sur le concept de «cross training». Ce concept consiste
à prendre la place de son partenaire lors de la séance d’entraînement. L’objectif
est de comprendre la tâche que réalise un partenaire en prenant sa place dans
le but d’adapter par la suite son propre jeu vis à vis de ce partenaire. En
définitif, ce type de pratique permet à chacun de comprendre dans quel « monde-propre »
vive ses coéquipiers et ainsi construire le monde commun. L’entraîneur peut
également utiliser des techniques de pré-briefing (i.e., avant l’action), il s’agit d’un moment de discussion pour se créer un
référentiel commun, dans le but de développer ce monde commun. Nous pouvons
considérer cela comme un partage de connaissances sur l’équipe. Le pré-briefing
est utile pour établir collectivement les caractéristiques de l’adversaire. En
complément le coach peut utiliser le post-briefing (i.e., après l’action), c’est à dire identifier les connaissances
partagées défaillantes et dans un deuxième temps corriger ces connaissances
partagées défaillantes. L’objectif du coach peut être d’accroître l’espace de
partage des connaissances, notamment en incitant les joueurs à partager un
grand nombre de connaissances. Cependant ce partage nécessite du temps. Il est
important d’habituer les joueurs à jouer ensemble, éviter les « turn over »
trop importants en fin de saison pour construire des équipes stables dans le
temps. L’idée est ne pas trop réduire les connaissances partagées et de ne pas
se voir être dans l’obligation de tout reconstruire. Pour des équipes plus
expertes, la littérature propose de travailler sur les probabilités
situationnelles, c’est à dire la probabilité d’apparition d’un événement dans
une situation, anticiper un événement fait partie des connaissances à
partagées. Enfin une possibilité est d’utiliser les communications même si ce
concept peut renvoyer à la notion de coordination explicite. Ici l’idée est de
créer un codage des communications. Il s’agit d’une voie alternative qui permet
un partage rapide de connaissances en situation de coordination explicite. Les
communications codées sont connues de tous les joueurs et elles permettent de
faire face à certaines défaillances du référentiel commun.
2.
L’utilisation de la communication verbale dans la construction de la
coordination interpersonnelle explicite et implicite
2.1 Que retenir de la communication verbale ?
La
communication verbale est bien souvent associée à un processus social mais elle
peut être comprise et étudiée comme un phénomène cognitif. Il semble important
ici de traiter de la communication verbale car elle est souvent associée à la
planification d’un futur comportement collectif et donc à une coordination
interpersonnelle de type explicite (e.g., pré briefing). Effectivement la
tactique et la stratégie partagées par une équipe sont bien souvent le résultat
d’échanges verbaux à partir de déclarations et d’interrogations sur l’action [7],
la communication semble également être un fort vecteur de partage de
connaissances dans le but d’atteindre la coordination implicite. Les
connaissances partagées verbalement permettront une meilleure adaptabilité des
joueurs sur le terrain et donc de se coordonner implicitement. Attention, il ne
s’agit pas de considérer la coordination implicite comme le « Saint Graal »
mais de pouvoir jouer et varier dans le choix des coordinations, elle semble cependant
plus difficile à atteindre. Une étude à montrer que plus une équipe était
experte et moins les joueurs qui la composent utilisent la communication
verbale [5]. Cependant une récente étude est venue pointer totalement l’inverse,
en affirmant que plus une équipe est experte et plus les joueurs utilisent de
communication verbale [7,8]. Finalement que
faut-il retenir dans ce qui unit la communication verbale et la coordination interpersonnelle.
Si l’équipe experte peut se caractériser par un haut niveau de
partage de connaissances sur la tâche et
un haut niveau de partage de connaissances sur l’équipe, un fort taux de communication verbale sera observé
par rapport à une équipe novice. De ce point de vue, une équipe qui ne communique
pas est une équipe novice. Par ailleurs, dans certains cas comme en double au
tennis le manque de connaissances sur l’équipe n’est pas forcement un obstacle
à la performance. Autrement dit, le partage de connaissances sur l’équipe peut
être faible entre deux joueurs ce qui ne les empêchera pas d’être une équipe
experte. Le niveau d’expertise incite à combler les manques de connaissances
partagées et donc à communiquer verbalement. Cet échange verbal pour partager
plus de connaissances est spécifique des équipes expertes. Nous avons donc
tendance à croire qu’une équipe experte est une équipe qui communique fortement
tant que le partage de connaissances n’est pas optimal.
2.2
La communication verbale indicateur de performance collective
Dans
le domaine de l’entraînement la communication verbale peut être un indicateur de
performance, c’est à dire qu’une équipe qui communique est une équipe qui va
tendre à se coordonner implicitement dans le futur et donc devenir experte. L’essentiel
pour l’entraîneur est de repérer les moments où les jeunes sportifs vont communiquer ;
c’est le début du partage d’informations sur l’équipe et sur la tâche.
Finalement le début de l’expertise d’une équipe peut être liée à un taux
important de partage de connaissances. Le taux de communication verbale est un outil pour les
entraîneurs qui permet facilement de rendre compte de cette expertise. Une
équipe qui ne communique pas est à fortiori une équipe dont les joueurs ne
partagent pas beaucoup de connaissances sur la tâche (dans le cas où le partage
de connaissances optimal n’est jamais totalement atteint). A partir de cela,
l’entraîneur peut déterminer une équipe «experte» d’une équipe «novice».
Apprendre aux joueurs à partager des informations en communiquant verbalement
est une aide pour développer la coordination implicite dans le futur.
Pour
conclure, il est important de mettre à jour le triangle qui lie la performance,
la coordination implicite et la communication. La coordination implicite est
vectrice de performance et celle- ci peut être améliorée par la communication
verbale à travers le partage de connaissances entre les joueurs. La
communication verbale est également un révélateur de l’expertise.
Mathieu Feigean
Bibliographie:
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[8] Poizat, G., Bourbousson, J., Saury, J., & Sève, C.
(2009). Analysis of Contextual Information Sharing During Table Tennis Matches:
An Empirical Study of Coordination in Sports. International Journal of Sport
and Exercise Psychology , 465-485
Recommandations :
à Favoriser
le partage de connaissances pour favoriser la coordination implicite et
l’efficacité collective
à
Sélectionner des joueurs en fonction de l’effectif et du degré de partage de
connaissances sur la tâche ou sur l’équipe nécessaire
à Utiliser
la communication verbale comme indicateur de performance collective et
d’atteinte de l’expertise collective
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