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mercredi 18 janvier 2017

Comprendre les processus sous-jacents a la coordination interpersonnelle pour entrainer le collectif

Le sport de haut niveau dans sa constitution vise a la performance. Cette performance est souvent associee à un capital economique dans les sports collectifs. Pour autant le spectacle reside dans le fait qu’une equipe moins bien dotee financierement puisse battre une autre equipe. Ainsi la notion de collectif prend une place essentielle et laisse l’espoir de performer pour chaque equipe. En s’appuyant sur une approche orientee sur les phenomenes cognitifs, nous discuterons de la notion de coordination interpersonnelle au sein d’un collectif et du role de la communication verbale dans les phenomenes de coordination interpersonnelle.
Introduction

Comprendre les phénomènes sous-jacents à l’activité collective semble indispensable pour produire une performance collective. La littérature actuelle tend à mettre en évidence qu’une équipe experte ne peut pas se réduire à une équipe de joueurs experts [5]. Le questionnement sur ce postulat nécessite d’investir la dimension collective du jeu en pensant autrement le collectif que par la simple juxtaposition des comportements individuels. Dans le passé, les approches, dîtes classiques, se sont intéressées aux notions des déterminants de l’activité collective (i,e., cohésion, leadership, nombre de joueurs, [4], sans pour autant aborder la compréhension de l’organisation d’un comportement collectif. Actuellement, il est nécessaire de dépasser ces approches de la performance collective pour tenter de comprendre la coordination collective en train de se faire à partir des phénomènes cognitifs sous-jacents. Dans la perspective de mieux cerner la compréhension de l’activité collective, l’enjeu est de se renseigner sur les processus cognitifs qui permettraient de comprendre la cohérence d’un comportement collectif. Nous discuterons (1) des « clés » pour développer la coordination interpersonnelle dans un collectif et (2) de la place de la communication verbale dans la construction de la coordination interpersonnelle implicite.

1. La coordination interpersonnelle comme une clé de la performance
1.1Les modèles mentaux partagés

Les équipes expertes peuvent être caractérisées par la faculté des joueurs à se coordonner implicitement c’est à dire performer avec une organisation collective, sans avoir à communiquer dans le décours de l’action [5,6]. Autrement dit, la coordination implicite se fait sans échange d’informations verbales. Par opposition, lorsque l’action est permise par un partage verbal d’information en direct, la coordination est dite explicite. C’est à dire avec une rediscussion en temps réel d’intention de jeu ou d’une élaboration tactique prédéfinie. La coordination implicite permet de se coordonner plus rapidement alors que la coordination explicite inclut le temps de l’échange d’information, et est visible pour l’adversaire, les joueurs doivent par conséquent être capables de s’adapter collectivement et de se coordonner de manière implicite. Ainsi, comprendre par quels processus est atteinte la coordination implicite permettrait un entrainement adapté. Un  premier résultat a montré une forte corrélation entre les attentes partagées et la coordination interpersonnelle implicite [1]. En d’autres termes, plus les joueurs d’une équipe ont des attentes similaires sur le jeu et plus les joueurs sont capables de se coordonner implicitement. Ce résultat pointe le fait que si les joueurs d’une équipe ne partagent pas les mêmes attentes, les scénarios de chacun ne pourront être similaires à ceux de ses partenaires. De la sorte, devenir entraîneur d’un collectif pourrait se résumer au fait d’entraîner ses joueurs à vivre et agir dans un monde commun, c’est à dire  de construire un « monde-propre » à l’échelle de l’équipe [2]. En ayant connaissance de ce fait, un point important est maintenant d’avancer sur les possibilités de construction de ces attentes partagées. Actuellement, la recherche scientifique a permis d’établir une corrélation entre les connaissances partagées et les attentes partagées par l’ensemble des joueurs d’une équipe [1]. C’est à dire que plus les joueurs d’une équipe partagent de connaissances plus ils sont susceptibles de générer des attentes communes et plus la probabilité d’adopter la coordination implicite est grande. Les connaissances partagées révèlent d’un côté les connaissances liées à la tâche (i.e., connaissances technico-tactiques, règles du jeu, connaissances sur l’adversaire)  et de l’autre les connaissances liées à l’équipe (i.e., connaissances sur les partenaires, rôles, état de forme, points forts, points faibles). La base du travail pour un coach semble pouvoir se faire sur la construction d’un référentiel commun par un partage de connaissances. La prise en compte de l’importance du partage de connaissances entre les joueurs d’une équipe invite les entraîneurs à se questionner sur la sélection des joueurs. 

1.2 Sélectionner des joueurs ou sélectionner un collectif

Pour continuer cette réflexion, la discussion s’oriente autour d’interrogations qui a priori animent les entraîneurs au quotidien, notamment celle de la sélection des joueurs. Sur quels indices de la performance collective l’entraîneur peut-il s’appuyer pour sélectionner/composer le meilleur collectif ? Une dialectique extrême se pose dans le choix de la sélection de joueurs, l’entraîneur doit-il recruter les meilleurs joueurs ou doit il construire une équipe indépendamment de la qualité technique et physique de chacun? Autrement dit, un coach doit il choisir des joueurs qui collectivement sont en accord par un partage de connaissances sur l’équipe et sur la tâche ou doit-il sélectionner les joueurs qui sont les plus performants individuellement ?
Une récente étude a émis l’hypothèse que plus il y a de joueurs dans l ‘équipe et plus le partage de connaissances sur l’équipe semble être primordial au détriment du partage de connaissance sur la tâche. Par ailleurs, les collectifs peu nombreux seraient moins dépendants de ce référentiel commun. Ainsi, la constitution d’une équipe de double en Coupe Davis peut très bien se faire avec deux joueurs experts en simple, ayant beaucoup de connaissances partagées sur la tâche à accomplir et peu sur leur partenaire. Ce qui a pour conséquence de réduire la nécessité de s’entraîner ensemble et permet de changer au dernier moment les joueurs qui composent l’équipe, comme c’est très souvent le cas en Coupe Davis. A l’heure actuelle, la meilleure paire de double en tennis, constituée des frères Bryan, est bien souvent mise en échecs lorsqu’elle affronte une paire composée de deux joueurs bien mieux classés individuellement (cf., résultats en coupe Davis). Par opposition, bien souvent des scores ont été très surprenants en football lorsque des équipes composées de joueurs plus faibles individuellement sont venus à battre des équipes composées de joueurs au plus haut niveau d’expertise. Par exemple, la Grèce s’est imposée sans joueur dit «expert» au Championnat d’Europe en 2004. Dans cet exemple le partage de connaissances  au sein de l’équipe a joué un rôle dans la performance même si bien évidemment d’autres éléments sont à prendre en compte. Pour les collectifs plus larges s’entraîner ensemble paraît capital, c’est bien l’intelligence collective qui va permettre à une équipe plus faible sur le papier de s’imposer. La compréhension de la notion de partage de connaissances semble indispensable pour envisager la performance collective. Pour un large collectif l’entraîneur gagne à sélectionner une équipe, pour un petit collectif il doit par contre davantage sélectionner des joueurs. 

1.3 Comment développer le partage de connaissances sur l’équipe et sur la tâche durant un entraînement ?

Lorsque les opportunités de se coordonner [3] peuvent potentiellement naître, le collectif doit pouvoir s’organiser, il s’agit donc de le préparer à l’entraînement. D’abord, l’amplification du partage de connaissances entre les joueurs semble possible en s’appuyant sur le concept de «cross training». Ce concept consiste à prendre la place de son partenaire lors de la séance d’entraînement. L’objectif est de comprendre la tâche que réalise un partenaire en prenant sa place dans le but d’adapter par la suite son propre jeu vis à vis de ce partenaire. En définitif, ce type de pratique permet à chacun de comprendre dans quel « monde-propre » vive ses coéquipiers et ainsi construire le monde commun. L’entraîneur peut également utiliser des techniques de pré-briefing (i.e., avant l’action), il s’agit  d’un moment de discussion pour se créer un référentiel commun, dans le but de développer ce monde commun. Nous pouvons considérer cela comme un partage de connaissances sur l’équipe. Le pré-briefing est utile pour établir collectivement les caractéristiques de l’adversaire. En complément le coach peut utiliser le post-briefing (i.e., après l’action), c’est à dire identifier les connaissances partagées défaillantes et dans un deuxième temps corriger ces connaissances partagées défaillantes. L’objectif du coach peut être d’accroître l’espace de partage des connaissances, notamment en incitant les joueurs à partager un grand nombre de connaissances. Cependant ce partage nécessite du temps. Il est important d’habituer les joueurs à jouer ensemble, éviter les « turn over » trop importants en fin de saison pour construire des équipes stables dans le temps. L’idée est ne pas trop réduire les connaissances partagées et de ne pas se voir être dans l’obligation de tout reconstruire. Pour des équipes plus expertes, la littérature propose de travailler sur les probabilités situationnelles, c’est à dire la probabilité d’apparition d’un événement dans une situation, anticiper un événement fait partie des connaissances à partagées. Enfin une possibilité est d’utiliser les communications même si ce concept peut renvoyer à la notion de coordination explicite. Ici l’idée est de créer un codage des communications. Il s’agit d’une voie alternative qui permet un partage rapide de connaissances en situation de coordination explicite. Les communications codées sont connues de tous les joueurs et elles permettent de faire face à certaines défaillances du référentiel commun.


2. L’utilisation de la communication verbale dans la construction de la coordination interpersonnelle explicite et implicite
2.1 Que retenir de la communication verbale ?

La communication verbale est bien souvent associée à un processus social mais elle peut être comprise et étudiée comme un phénomène cognitif. Il semble important ici de traiter de la communication verbale car elle est souvent associée à la planification d’un futur comportement collectif et donc à une coordination interpersonnelle de type explicite (e.g., pré briefing). Effectivement la tactique et la stratégie partagées par une équipe sont bien souvent le résultat d’échanges verbaux à partir de déclarations et d’interrogations sur l’action [7], la communication semble également être un fort vecteur de partage de connaissances dans le but d’atteindre la coordination implicite. Les connaissances partagées verbalement permettront une meilleure adaptabilité des joueurs sur le terrain et donc de se coordonner implicitement. Attention, il ne s’agit pas de considérer la coordination implicite comme le « Saint Graal » mais de pouvoir jouer et varier dans le choix des coordinations, elle semble cependant plus difficile à atteindre. Une étude à montrer que plus une équipe était experte et moins les joueurs qui la composent utilisent la communication verbale [5]. Cependant une récente étude est venue pointer totalement l’inverse, en affirmant que plus une équipe est experte et plus les joueurs utilisent de communication verbale [7,8]. Finalement  que faut-il retenir dans ce qui unit la communication verbale et la coordination interpersonnelle. Si  l’équipe experte  peut se caractériser par un haut niveau de partage  de connaissances sur la tâche et un haut niveau de partage de connaissances sur l’équipe,  un fort taux de communication verbale sera observé par rapport à une équipe novice. De ce point de vue, une équipe qui ne communique pas est une équipe novice. Par ailleurs, dans certains cas comme en double au tennis le manque de connaissances sur l’équipe n’est pas forcement un obstacle à la performance. Autrement dit, le partage de connaissances sur l’équipe peut être faible entre deux joueurs ce qui ne les empêchera pas d’être une équipe experte. Le niveau d’expertise incite à combler les manques de connaissances partagées et donc à communiquer verbalement. Cet échange verbal pour partager plus de connaissances est spécifique des équipes expertes. Nous avons donc tendance à croire qu’une équipe experte est une équipe qui communique fortement tant que le partage de connaissances n’est pas optimal. 

2.2 La communication verbale indicateur de performance collective

Dans le domaine de l’entraînement la communication verbale peut être un indicateur de performance, c’est à dire qu’une équipe qui communique est une équipe qui va tendre à se coordonner implicitement dans le futur et donc devenir experte. L’essentiel pour l’entraîneur est de repérer les moments où les jeunes sportifs vont communiquer ; c’est le début du partage d’informations sur l’équipe et sur la tâche. Finalement le début de l’expertise d’une équipe peut être liée à un taux important de partage de connaissances. Le taux de  communication verbale est un outil pour les entraîneurs qui permet facilement de rendre compte de cette expertise. Une équipe qui ne communique pas est à fortiori une équipe dont les joueurs ne partagent pas beaucoup de connaissances sur la tâche (dans le cas où le partage de connaissances optimal n’est jamais totalement atteint). A partir de cela, l’entraîneur peut déterminer une équipe «experte» d’une équipe «novice». Apprendre aux joueurs à partager des informations en communiquant verbalement est une aide pour développer la coordination implicite dans le futur. 

Pour conclure, il est important de mettre à jour le triangle qui lie la performance, la coordination implicite et la communication. La coordination implicite est vectrice de performance et celle- ci peut être améliorée par la communication verbale à travers le partage de connaissances entre les joueurs. La communication verbale est également un révélateur de l’expertise.

Mathieu Feigean



Bibliographie:
[1] Blickensderfer, E. L., Reynolds, R., Salas, E., & Cannon-Bowers, J. A. (2010). Shared Expectation and Implicit Coordination in Tennis double Teams. Journal of Applied Psychology , 486-499.

[2] Bourbousson, J., Poizat, G., Saury, J., & Sève, C. (2011). Cognition Collective: Partage de Préoccupations entre les joueurs d'une équipe de basket-ball au cours d'un match. Le Travail Humain , 59-85.

[3] Cannon-Bowers, J. A., & Bowers, C. (2006). Applying Work Team Rules to Sport Teams: Opportunities and Cautions. International Journal of Sport and Exercise Psychology , 447-462.

[4] Carron, A. V., & Hausenblas, H. A. (1998). Group Dynamics in Sport. Morgantown: WV Fitness Information Technology.

[5] Eccles, D. W., & Tenenbaum, G. (2004). Why an Expert Team is More Than a Team of expert: A Social-cognitive Conceptualization of team Coordination and Communication in Sport. Journal of SPort & Exercies Psychology , 542-560.

[6] Eccles, D. W., & Tenenbaum, G. (2007). A social Cognition Perspective on Team functioning in Sport. In D. W. Eccles, G. Tenenbaum, & E. R. C, Handbook of sport psycholog (pp. 264-283). John Wiley & Sons.

[7] Lausic, D., Tennenbaum, G., Eccles, D., Jeong, A., & Johnson, T. (2009). Intrateam Communication and Performance in Doubles Tennis. Research Quartety for Exercise and Sport , 80 (2), 281-290.

[8] Poizat, G., Bourbousson, J., Saury, J., & Sève, C. (2009). Analysis of Contextual Information Sharing During Table Tennis Matches: An Empirical Study of Coordination in Sports. International Journal of Sport and Exercise Psychology , 465-485



Recommandations :
à Favoriser le partage de connaissances pour favoriser la coordination implicite et l’efficacité collective
à Sélectionner des joueurs en fonction de l’effectif et du degré de partage de connaissances sur la tâche ou sur l’équipe nécessaire
à Utiliser la communication verbale comme indicateur de performance collective et d’atteinte de l’expertise collective


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